Romain
Rolland (1866-1944), écrivain français humaniste, en quête d'un monde non violent, est récompensé du prix Nobel de littérature en
1915.
Stefan Zweig (1881-1942), écrivain, dramaturge et biographe juif autrichien quitta son pays en 1934 pour fuir le nazisme.
Ces deux génies, dans une longue correspondance, de plus de trois cents lettres, nous
projettent un siècle en arrière.
Aussi bouleversante que passionnante, cette correspondance est un témoignage d'une époque trouble autant qu'une leçon d'humanité et d'humilité.
Quand le jeune Stefan Zweig entreprend d'écrire
à Romain Rolland, ce sont
des lettres d'un disciple à son maître. Le jeune auteur autrichien, bouleversé par la lecture de Jean-Christophe, qui valut, en 1916, le prix Nobel de littérature à Romain Rolland, dira de ce roman-fleuve : "Là
était enfin l'œuvre qui servait non pas une seule nation européenne mais toutes et leur fraternisation."
Zweig met alors tout en œuvre pour que Jean-Christophe soit traduit et publié en Allemagne, dans un contexte où tout concourt à séparer les deux pays. Une obstination qui scellera l'amitié des deux écrivains, malgré parfois certains désaccords ou incompréhensions. En effet, à la veille de la Première guerre mondiale "Romain Rolland refuse l'idée d'une guette inéluctable ; son discours se veut centré sur le principe de la fraternité humaine.", tandis que "Stefan Zweig affiche un patriotisme en phase avec l'Allemagne."
Cette correspondance, commencée sur un ton purement intellectuel et centrée sur la littérature, voit peu à peu son épicentre se déplacer vers des considérations plus politiques. En filigrane, l'esprit de l'époque se dessine, car à travers cette longue conversation épistolaire "Au-delà d'un simple dialogue entre intellectuels appartenant à des nations étrangères, il est remarquable d'observer les efforts de chacun pour œuvrer dans un contexte peu favorable au rapprochement des peuples et des cultures."
Ces deux intellectuels engagés préfigurent l'entente franco-allemande, qui pourtant devra attendre une guerre et quelques millions de morts supplémentaires pour naître et exister réellement.
À travers ces lettres, qui sont chacune un joyau de littérature, et quelques rares rencontres une incroyable amitié grandira, nourrie d'un amour commun pour la littérature et pour les
hommes.
À distance, les deux hommes s'écouteront, se consoleront, argumenteront leurs désaccords, se retrouveront… vivront une amitié puissante, généreuse, respectueuse et vraie.
Stefan Zweig s'ouvre
à Romain Rolland de ses inquiétudes concernant ses amis, dont il redoute qu'ils ne soient
prisonniers : Bazalguette, Guilbeaux, Romains, André Spire, Mercereau, Henri Guilbeaux, Dehmel. Et surtout s'affranchit de la parole commune, se rendant compte que la guerre, sa propagande et ses
calomnies tuent parfois les plus belles et nobles amitiés, à l'instar de celle qu'il entretenait avec Verhaeren, "J'ai
lu le passage où il me renie publiquement, et je l'ai lu sans douleur. S'il ressent véritablement ceci, que chaque être de langue allemande est son ennemi, alors c'est que notre relation s'était
déjà défaite, non seulement en raison d'une dissonance nationale, mais en raison d'une dissonance humaine."
"Des
milliers de femmes perdent leurs enfants, des milliers d'enfants perdent leurs pères, ai-je le droit de me plaindre si la guerre me prend un ami ?" (faisant référence à Émile Verhaeren).
Ces lettres qui racontent l'Europe d'hier, montrent l'amour et le respect que ces deux hommes se portaient et qui était si essentiel en ces temps où le sang coulait au nom du patriotisme.